Non, il n'est pas dans cet article question de la « Lettre à Christophe de Beaumont » annotée par Voltaire, ni la lettre adressée à Christophe Colomb par Toscanelli.
Mais d'une bande-dessinée commandée par le service de l'information et des relations publiques des P & T en 1975, et exécutée par un artiste sorti de l'ombre à cette occasion pour y replonger aussitôt quelques heures plus tard, sa noble tâche accomplie, tel un Zorro maniant pinceau et feutre en lieu et place de l'épée et du fouet. Son nom claque tel un coup de tonnerre : Raymond Faivre.
Raymond Faivre nous livre ici une œuvre colossale, entière, sans compromission et sans concession aux modes, aux sirènes du commerce ou aux normes aliénantes de la technique. Son dessin, direct, simple, faussement maladroit, comme sa narration qui emprunte tours et détours pour nous révéler en 34 planches ce qu'elle aurait pu dire en cinq, révèlent un artiste majeur, délivré de toute contrainte extérieure, une figure brute comparable au Hergé des débuts ou au Mœbius de la fin, comparaisons qui tournent d'ailleurs en sa complète défaveur.
Place aux extraits, qui vont vous plonger au cœur d'un récit dont vous ne sortirez pas indemnes.
Dès la première planche, le dispositif graphique et narratif est posé. Un monde presque onirique, dual : des héros jumeaux (notez le J de Janus), deux couleurs dominantes, deux F à «Poff»… Et d'emblée, le thème de l'œuvre est posé : le passage de l'autre côté du mur, tel celui d'Alice derrière le miroir : nous sommes dans un roman initiatique, dans la révélation des mystères postaux.
La planche suivante nous donne accès à un monde plein de voitures jaunes. Quatre Renault Quatre, c'est bien sûr le carré Kabbaliste symbole de perfection et de levier de vitesses au tableau de bord.
Dès la planche trois apparaît la figure de l'Initié-Initiant - Maître spirituel à la fois punisseur et dispensateur de bienfaits, figure d'autorité et dépositaire d'une cravate rayée vraiment sensationnelle. Il sera notre guide tout au long de ce voyage vers la connaissance des procédures postales.
Le Guide emporte nos héros hermaphrodites dans un voyage sans retour. Il les arrache symboliquement à la sphère parentale (rappelée pour être aussitôt bafouée) pour les transporter dans un univers peuplé exclusivement de voitures de la Régie Renault.
Sous la férule du Guide, qui révèle une personnalité autoritaire très déplaisante, une série d'épreuves attend nos Roux et Combaluzier aux cheveux d'or : de spectateurs, ils deviennent ainsi acteurs de leur propre destin, tels de modernes Sisyphes trainant des sacs presque vides, que la vie se chargera de remplir pour eux.
Les voici bientôt dans le train postal qui va les emmener au loin, vers la révélation des mystères ultimes.
La scène clé du livre se trouve au bout de la voie ferrée. C'est ici que le destin de la missive postée au début de l'album est révélé. Perte de l'innocence, prodiguée par un technicien doté des lunettes qui lui permettent de voir la vraie nature du monde. On pense à Invasion Los Angeles de Carpenter, et bien sûr à Soleil Vert : «Les lettres sont des gens !»
Quel ennui.
L'avion atterrit, et nos héros prennent place dans un camion postal qui va les mener vers la capitale. Le chauffeur, tel le nocher Charon, les avertit des épreuves qui les attendent.
Encore une fois, il faut se confronter à des Renault. Ici une R16, oui,
mais d'une couleur qui nous indique clairement que nous sommes dans le monde du rêve.
Au terme de ce voyage, les héros accèdent enfin au bureau de poste du VIIeme arrondissement, ultime étape de tout voyage initiatique. Il faut tout le talent de Raymond Faivre pour rendre la majesté de ce décor à couper le souffle d'un asthmatique.
Les explications sur les aspects les plus hermétiques de l'institution postale nous sont livrés sans aucune image. Choix judicieux, qui souligne la vanité de représenter de façon figurative des concepts tels que "guichet" ou "téléphone".
Ultime message, volontairement abscons, qui teste les limites de nos capacités cognitives. Alors qu'on croit avoir tout expliqué, tout découvert, le guide fait vaciller nos certitudes : cet "un jour prochain" sonne comme la promesse d'une rédemption future, d'un jugement dernier postal, au cours duquel tous les courriers égarés arriveront à leur destinataire. Il donne à cette dernière case une dimension eschatologique qui contraste avec le faussement ingénu "oh oui monsieur".
Rarement le mot "fin" aura été écrit aussi gros sur une case de BD.
Un ouvrage indispensable
15 commentaires:
On comprend l'enthousiasme de ces adorables préadolescents à vivre de telles aventures sidérantes d'intrépidité, d'imprévus, de rebondissements et de coups de théâtre.
Un malencontreux choute dans un ballon entraînant ces deux bambins (judicieusement identifiés par un "I" et un "J" sur leurs polos) dans un maelström de découvertes prouve la maîtrise du suspense de l'auteur et sa parfaite tenue du crayon.
Je comprends maintenant que la recherche et la trouvaille d'un tel trésor de littérature (pour petits et grands) aient pu distraire Monsieur Paul de nous inonder d'articles rasoirs.
J'avais pensé, un moment, que l'absence d'intervention depuis l'année passée pouvait être due à une flemme passagère...
Un article que l'on aurait souhaité mieux documenté. Car Raymond Faivre, loin de tomber dans l'oubli après le considérable succès de "la Lettre à Christophe", se remet aussitôt à l'ouvrage ! Et il signe, seulement trois ans plus tard, l'inoubliable "Opération Platon, les télécommunications en bande dessinée". Probablement son chef-d'oeuvre.
Vérifiez, vous verrez.
Fabrice-Réginald Priscoll-Durand
Haltérophile et critique d'art à Lille
Oui, notre service archive m'avait alerté sur ce point, mais je préférais rester sur l'idée de l'œuvre fulgurante d'un auteur maudit, forcément maudit. J'ai donc écarté la "réalité" si prosaïque qu'elle ne correspondait pas avec l'intention profonde de l'Univers envers cet ouvrage.
C'est au sujet du bureau de poste de la rue Belgrand à Paris, 20e, vous pensez qu'il peut jouer un rôle dans cette quête initiatique ?
Par exemple on l'air d'y faire vachement plus la queue en quête du colis ou recommandé que dans celui du 8e (arrondissement).
Notez que la visite supplémentaire évoquée au terme de l'ouvrage (aussitôt contredite par le péremptoire "FIN" sur cette même case) aurait pu nous en apprendre davantage sur ce mystérieux Christophe dont il est fait mention dans le titre... Peut-être une fin laissée volontairement ouverte ?
je reste un peu sur ma faim apres la lecture de cet article !
pourquoi avoir négligé la référence à st christophe, considéré comme le patron des voyageurs.
Vous n'etes pas sans savoir que Christophe dérive des mots grecs Kristos (Christ) et phorein (porter), c'est-à-dire celui qui porte le Christ, en allusion à un géant légendaire qui aurait aidé l'enfant Jésus à traverser une rivière.
Le sens profond de cette bluette serait alors apparu sous un angle nouveaux : la poste c'est comme à l'église, on s'y emmerde !
(la conclusion est personnelle )
JC (l'autre)
Postier à Plougastel
Une erreur s'est glissée dans la première planche de ce récit (au demeurant peu plausible): l'onomatopée zippp! me semble incongrue. J'ai réitéré l'expérience des centaines de fois, une ballon ne peut en aucun cas faire zippp! lorsqu'il franchit un mur. Surtout avec trois p. Mon voisin est du même avis. Lorsqu'il est venu me demander pourquoi j'envoyais autant de ballon chez lui, je lui ai montré la fameuse planche et il a explosé de rire. Il m'a dit de ne pas m'en faire et de ne plus envoyer de ballon par dessus le mur, puis il m'a regardé bizarrement et s'est effondré en larme. Je pense qu'il est maniaco-dépressif et que la lecture d la lettre à Christophe serait pour lui une bonne thérapie, si ce n'était ces satanées approximations langagières. Je vais essayer avec des boules de pétanque pour voir si ça fait zappp!
Deux jeunes enfants montent dans la camionnette d'un adulte inconnu pour aller bosser au centre de tri.
Fantastique.
Et après, ils ont fait la fête ?
Toi aussi, suis les inconnu dans leurs camionnettes !
Je trouve que l'employé des postes a un regard pervers sur la septième image. Le train démarre et il regarde les enfants avec un sourire sardonique qui en dit long. Je n'ai pas compris le pourquoi de cette subtilité dans le scénario.
Oh non! Quel dommage!
La bande dessinée s'achève juste au moment où l'on nous promettait la visite du satellite.
Quelles merveilles Raymond Faivre en aurait surement tirées!
Contrairement à ce qu'il est sous-entendu, Raymond Faivre continue à faire de la BD avec un succès international et médiatique. En effet, sous divers pseudonymes, il réalise ce que les grand médias nomment "des romans graphiques" où son talent narratif et graphique peut s'épanouir en toute liberté.
Mais... Il y a même toute une épopée, semble-t-il !
http://www.amazon.fr/isabelle-operation-platon-telecommunications-dessinees/dp/B003WWBQMY
Attelez-vous à la tâche, mon ami. Je brûle.
Etant fille des PTT (le coup de foudre de mes parents ayant eu lieu dans un centre de tri postal), cette chronique me parle tout particulièrement. Merci.
(et merci au docteur Moustache qui m'a fait découvrir votre blog)
La scène de viol, en particulier, décrite tout en finesse, est un must de retenue et de pudeur. De tels livres éducatifs manquent cruellement à la jeunesse d'aujourd'hui.
On en redemande
La naïveté graphique de cette ouvrage a touché à l'époque mon cœur d'enfant.
D'autant plus que je porte le prénom d'origine christique du destinataire de la lettre, et que ma grand-mère m'a évidemment offert le livre.
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